Mort d’un milicien de Robert Capa

Posted on 26 octobre 2010

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Dès sa publication, en 1936, cette image saisissante est devenue une icône.

 

Peu de clichés nous confrontent avec autant de violence à la mort. Cette célèbre photographie est l’œuvre d’un tout jeune reporter de guerre hongrois, Robert Capa (1913-1954), qui, à 22 ans, est parti couvrir la guerre d’Espagne opposant les Républicains aux troupes franquistes. Sur le front d’Andalousie, il saisit dans l’objectif un soldat des milices républicaines fauché par une balle, dans un coin de campagne aride et isolé. Quelques jours plus tard, le 23 septembre 1936, le magazine Vu, son commanditaire, publie l’image sans légende dans un numéro spécial sur la guerre civile qui ravageait la péninsule.

Lorsqu’elle illustre un article dans Paris-Soir, un an plus tard, son auteur, Antoine de Saint Exupéry, lui confère déjà une portée plus générale (« Le front est animé par une fusillade lointaine, incohérente et universelle« ). Selon Françoise Denoyelle, historienne de la photographie, ce cliché accède, dès ces publications ultérieurs « et par sa symbolique […] au rang d’icône emblématique de la guerre d’Espagne. »

Des polémiques fusent à partir de 1970 : est-ce une photo de Robert Capa ou de sa compagne Gerda Taro ? Qui est ce soldat ? Est-ce une mise en scène ? Les débats n’ont jamais abouti, les négatifs ayant été perdus. Mais ils n’ont pas réussi à déprécier sa valeur photographique et historique.

L’horreur au milieu d’un paysage grandiose

Une fin d’après-midi, sous le soleil, comme l’indique l’ombre du soldat. Une paysage majestueux et désolé d’Andalousie… Un bel endroit pour mourir ? Dans son livre L’Oeil naïf, le philosophe et écrivain français, Régis Debray se dit surpris par l’éclairage et les nuages rondelets, tout autant que par la chaleur de la terre et l’immensité des horizons : « Il y a autour de ce sacrifice lumineux, suspendu en plein ciel, quelque chose de solaire et d’océanique, qui le soustrait à la rubrique « horreur de la guerre ». »

Entre la vie et la mort

Si cette photo est devenue une icône, c’est bien parce qu’elle a su immortaliser un instant fugitif ; le passage de la vie à la mort, terriblement matérialisé par la chute de l’homme sur l’herbe. Le temps est comme suspendu. Le soldat tombe, lâche son fusil, emblème de sa lutte contre le fascisme, et cette photographie symbolise rapidement l’Espagne et sa République abandonné par les démocraties. Deux héros s’offrent ici à nous : le milicien et le reporter. Tous deux mettent leur vie en péril : au service des valeurs républicaines, pour l’un, au service de la liberté de l’information, pour notre photographe.

Juste un peu flou

Le décor de cette scène est presque entièrement flou. Signe tangible que la photo est une image d’information, prise sur le vif. On renonce à l’esthétisme parfait chez les reporters parce que le flou est également une preuve d’authenticité. Il deviendra même la marque de fabrique des photojournalistes. Ainsi, en 1944, Capa couvre le débarquement de Normandie. Le magazine Life publie ses images et affirme qu’en raison du tremblement du photographe, elles sont « justes un peu floues ». Par dérision, Capa reprendra ses mots pour titrer ses mémoires de guerre.

Au cœur de l’action

Comment Capa a-t-il pu prendre cette image de si près ? Grâce à une innovation de l’époque : l’appareil Leica, petit et léger, que son ami Henri Cartier-Bresson utilisait aussi. Capa se déplace ainsi aisément. Il semble ici aux pieds du soldat chancelant, isolé dans le cadre, légèrement en contre-plongée, ce qui renforce la proximité du reporter et du milicien, et place le spectateur en plein cœur de l’action. Illustration concrète du célèbre conseil de Capa : « Si ta photo n’est pas bonne, c’est que tu n’étais pas assez près ».

Margaux Duquesne

Pour Arts Magazine, rubrique « Anatomie d’un chef-d’œuvre« , septembre 2009.

 

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