Yann Renoult est professeur de mathématiques, dans le 93, en banlieue parisienne. Un métier qui le passionne. Pendant son temps libre, il photographie : un moyen pour lui de découvrir le monde sous un nouvel angle. Un prétexte, aussi, d’échanges et de rencontres. Il ne se dit pas journaliste, mais délivre ici, un reportage touchant sur la jeunesse palestinienne…
Qu’est-ce qui vous a amené à la photographie ?
Étant très mauvais en dessin, mais ayant envie de « faire » des images, je me suis dirigé vers la photographie. Les manifestations contre le CPE, en 2006, ont été, comme pour beaucoup de photographes de cette génération, le déclencheur de mon intérêt pour la photographie documentaire. Je ne sais pas si je peux dire que j’ai une démarche journalistique : le journalisme est un métier qui ne s’improvise pas. Je préfère parler d’envie de montrer quelque chose, de témoignage. Plusieurs de mes séries ne s’inscrivent d’ailleurs pas dans le domaine du reportage.

Vieille ville d’Hébron – les filets servent à protéger les habitants Palestiniens des objets jetés par les colons vivant au-dessus d’eux © Yann Renoult
Pourquoi avoir choisi le sujet de la « jeunesse palestinienne » ?
La question de la Palestine m’intéressait depuis longtemps déjà. J’ai donc eu envie d’aller sur place, voir la situation de mes propres yeux et essayer d’en témoigner. Je n’ai pas voulu rester dans le simple rôle de témoin, mais être aussi un peu acteur, d’où l’idée de proposer des ateliers de fabrication de sténopés dans un camp de réfugié, où les structures destinées aux enfants sont rares. La photo est un bon prétexte à l’échange et au partage. En tout cas, l’expérience s’est révélée fabuleuse -et bouleversante – les enfants étaient très motivés et intéressés.
Avant de partir, j’avais un peu réfléchi aux différents axes que j’avais envie de développer dans mes photos. Celui sur la jeunesse en faisait partie.

Arroub refugee Camp – Atelier de théâtre d’ombres. Les structures pour accueillir les jeunes sont quasi-inexistantes. Les rares centres d’animation jouent un rôle primordial dans la croissance et l’éducation de ces enfants. C’est le seul endroit où ils peuvent, à travers leurs jeux, s’exprimer et apprendre. Le système éducatif, avec des profs sous-payés et mal formés, peine à remplir sa tâche © Yann Renoult
De par mon métier je m’intéresse particulièrement aux enfants et aux jeunes, notamment aux conditions dans lesquelles ils grandissent. C’est sur la jeunesse qu’on base l’avenir d’une société. Quel futur pourront bâtir ces jeunes palestiniens, qui ont grandi dans un univers de violence en proie à une tension permanente, écrasés sous le poids de l’occupation ? L’état israélien est en train de broyer la population : les barrières ne sont plus seulement physiques, elles sont mentales. Même si il y a encore un fort engagement politique, un grand nombre de jeunes baissent les bras et renoncent à se battre. Nombreux sont ceux qui sombrent dans la dépression. Ils souhaiteraient simplement avoir une vie normale, pouvoir travailler, s’amuser, fonder une famille, mais le quotidien de l’occupation les en empêche en les maintenant dans une situation précaire. L’autorité palestinienne, certes présente sur la scène internationale, est décriée par nombre des habitants qui la jugent corrompue et inefficace. Il m’a donc semblé crucial de montrer à quoi peut ressembler une enfance palestinienne, alors que les Palestiniens sont souvent laissés dans une totale indifférence médiatique.

Ces jeunes participent à projet de résistance pacifique organisé par la plateforme d’ONG OPGAI. Ils graffent sur les murs de la rue principale du camp des messages ou des images politiques. En attendant que la température baisse, ils se détendent et plaisantent, et tout à coup c’est une explosion d’énergie et ils mettent à danser et à rire. © Yann Renoult
Quels problèmes avez-vous rencontrés, sur place ?
Arriver sur place a déjà été un problème ! Israël essaye d’empêcher le plus possible les personnes d’aller en Cisjordanie, en gros toutes celles qui n’ont pas un profil de pèlerin. A mon arrivée à l’aéroport, j’ai eu droit à un interrogatoire d’une demi-heure avant qu’on m’accorde le visa. Par rapport à d’autres, j’ai été chanceux, le même jour plusieurs français se sont fait expulsés. Une fois en Israël, rentrer en Cisjordanie est assez simple, il faut rejoindre un check point et le franchir. Dans ce sens, les contrôles sont rares. C’est l’autre sens qui pose problème : sortir de Cisjordanie nécessite parfois plusieurs heures d’attente dans un check point aux allures de prison, où les soldats entassent les gens comme du bétail dans des couloirs fermés de barrière métallique, les laissant passer au compte-goutte selon leur bon vouloir, beuglant des ordres par haut-parleur.

Bil’in – Tous les vendredis, villageois et internationaux manifestent pour protester contre l’annexion des terres du village causée par l’expansion illégale des colonies. Ce jeune homme tente de couper les barbelés qui interdisent l’accès à la route en contrebas, interdite aux Palestiniens. © Yann Renoult

Beit Ummar – lors d’une marche contre les violences de l’armée, les villageois, épaulés par des internationaux, tentent de rejoindre les terres du village qui ont été annexées par une colonie. Comme d’habitude, ils sont bloqués par l’armée. © Yann Renoult

Beit Ummar – une manifestation contre les violences de l’armée s’envenime après que des soldats aient piétiné un drapeau et bousculé des enfants. Les plus sages ne parviennent pas à contrôler la rage des jeunes, qui lancent des pierres sur les soldats lourdement armés. Plus qu’une armée, ces jets de pierre signifient aux soldats qu’ils ne sont pas les bienvenus, et sont pour les jeunes un exutoire à leur colère. © Yann Renoult
Par rapport à la situation sur place, et à la culture du pays, photographier n’a pas non plus été facile, d’où l’importance d’avoir du temps afin de gagner la confiance des gens, et d’apprendre à connaître les usages du pays. On ne m’a jamais demandé de bakchich pour être photographié, mais j’ai souvent pris le temps de dialoguer avec les gens avant de prendre des photos. Je n’ai pas été arrêté par l’armée, mais j’ai entendu des histoires de personnes ayant vu leurs cartes mémoires confisquées. Sortir les photos du pays est délicat. A l’aéroport, pour partir, toutes les personnes présentant un profil à risque (jeune, homme ou femme seul(e), militant, personne typée…) doivent subir des contrôles poussés, qui vont parfois assez loin (fouille corporelle, escorte jusqu’à la salle d’embarquement). Du coup, il arrive que le contenu des mémoires soit examiné.

Jerusalem Est – Jeune Palestinienne dans une manifestation à Jerusalem-Est, à l’initiative d’associations israéliennes qui militent pour les droits des Palestiniens. Les femmes prennent une part de plus en plus active à la résistance. © Yann Renoult

Aida Camp – I. est un soldat d’élite du Fatah. Il s’est engagé à 16 ans, et a été entraîné en Russie et chez les marines jordaniens, avant de servir à Ramallah. Il vient de signer un dernier engagement de sept ans. I. n’est pas entré dans l’armée par conviction, mais pour avoir un travail et toucher un salaire. Ses cicatrices témoignent de sa vie, entre les corrections infligées par son père et l’armée. Agé d’à peine 23 ans, il est brisé moralement par un désespoir profond et intense, qu’on retrouve chez beaucoup de jeunes de son âge dans les camps. Il aimerait vivre une vie normale, pouvoir voyager, faire la fête avec ses amis, se marier. Etre insouciant, loin de la guerre et des morts. Mais en Palestine, ces espérances simples sont hors de portée. Alors I. noie sa détresse dans tout ce qu’il peut. La veille, un de ses camarades s’est tiré une balle dans la tête, porte de sortie à une vie sans espoir. © Yann Renoult
A Bethlehem, j’ai pu rencontrer les coordinateurs de l’ONG avec qui j’ai collaboré pour mettre en place des ateliers sténopé dans le camp d’Al Arroub. Ils m’ont aidé à trouver un logement, et à me familiariser avec le pays. Ensuite, je me suis débrouillé seul, avec 2 ou 3 autres bénévoles, en essayant de ne pas fréquenter uniquement le milieu militant, afin d’avoir un point de vue un peu global sur la société Palestinienne.

Aïda Camp, Bethlehem – Après avoir travaillé toute la journée dans la sécurité, Muhammad, 16 ans, trompe l’ennui de la soirée en fumant un narguilé improvisé dans une bouteille plastique. © Yann Renoult
Les ateliers sténopés m’ont permis de faire pas mal de rencontre. Sinon, elles se sont faites au hasard des lieux où je me suis rendu. Parfois on m’a conseillé d’aller voir telle ou telle personne. Les Palestiniens ne veulent pas être oubliés, aussi, toute envie de témoigner de ce qu’ils vivent est plutôt la bienvenue. Après, la Palestine étant un pays musulman, il est plus compliqué pour un homme de photographier des femmes, et certaines personnes refusent de se laisser prendre en photo.

Bethlehem – Portrait d’un martyr sur un mur. Sur la colline d’en face, séparée par des barbelés, des grilles et une route, une colonie. Qui sait quand et pourquoi ce jeune homme est mort ? © Yann Renoult
Site de Yann Renoult : cargocollective.com/yannrenoult
Propos recueillis par Margaux Duquesne
Guillaume
27 février 2012
Bravo Yann, beau reportage sensible et très bien réalisé.
Pierre Meur
5 mars 2012
Si ce n’était qu’un sujet de reportage ! Bravo pour les photos et votre humanité.
Nathalie
8 mars 2012
j’ai entendu parler de votre travail sur la page facebook d’une amie que nous avons en commun Blandine, votre reportage retrace bien les conditions de vie des palestiniens … mille merci pour ces images, elles me rappellent le travail d’artistes palestiniens que j’avais pu admirer à l’Institut du Monde Arabe à Paris il y a quelques années …
Merci aussi pour votre humanisme, car le silence devant cette situation n’est ni plus ni mois un crime. Je souhaite que règne la paix dans le monde. Je vous conseille un film « le sel de la mer » de Anne Marie Jacir.
Bien amicalement, Nathalie.T
Buffalaurent / Crazyfrenchguy
27 août 2012
Témoignage très intéressant et photos très prenantes! Ca me rappelle beaucoup de souvenirs, ayant fait un voyage similaire (mais pendant beaucoup moins de temps, puisque je n’ai pu passer que deux jours en Palestine). Une note que j’aurais rajoutée, cependant, est le fait qu’un bon nombre de soldats israëliens (attention, je ne dis pas que c’est le cas de tous) faisant leur service militaire n’ont aucune envie d’être en Palestine, jugeant que leur présence en Palestine est déplacée.
cousin
27 août 2012
Joli témoignage ! jj’ai regardé cet été un reportage sur la bande de Gaza et je retrouve ce qui était présenté. Belles photos également bravo.
Rohan Houssein
28 août 2012
Très beau photo-reportage.