Robert Delpire, le montreur d’images

Posted on 14 août 2011

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Drôle de carabin, qui a vite délaissé les clichés de radiologie pour ceux de Brassaï, Doisneau, Cartier-Bresson…  Robert Delpire n’a que 23 ans lorsqu’il décide en 1950 de faire du journal de sa faculté de médecine… une revue d’art ! Au culot, il convainc Jean-Paul Sartre et André Breton d’y collaborer. Et il y publie la fine fleur des photographes et illustrateurs de l’époque. Le virus de l’image est trop fort pour l’ex-futur chirurgien, qui se fera tour à tour éditeur, organisateur, d’expositions, publicitaire… Bref, « catalyseur, de ceux qui œuvrent pour la photographie » selon les termes Jean-Luc Monterrosso, directeur de la Maison Européenne de la Photographie.

Ce « temple » de la photo à Paris consacrait en 2009 toute sa surface à une exposition retraçant les 59 années de la carrière de Robert Delpire. On y croisait les clichés les plus fameux d’Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis, ou encore William Klein, dont Delpire fut l’éditeur et l’ami. Mais aussi l’incroyable collection de petits livres et de programmes télévisés que cet infatigable passeur d’images a produit pour faire partager sa passion au plus grand nombre. Delpire, qui se définit modestement comme « un artisan qui se met au service des artistes » avait longtemps refusé qu’on organise cette exposition-hommage. Et a fini par accepter, à condition qu’elle s’intitule « Delpire & Cie ». Pour dire merci à toutes les personnes avec lesquelles il a eu le plaisir de collaborer.

Robert Delpire dans le film de ©Sarah Moon*

Klein, Cartier-Bresson, Frank… il a édité les plus grands

Quand on aime, on ne compte pas… En 1956, lorsque son ami Robert Frank lui demande de publier son reportage sombre et glaçant sur l’Amérique, Delpire accepte sans réfléchir. Le résultat ? Les Américains… livre de chevet des amoureux de la photo, qui fait un flop à sa sortie.

© Robert Franck

« Je connaissais Robert Franck bien avant qu’on fasse les Américains. Il est venu me voir en 1953, lorsque j’éditais ma revue. Il n’était pas du tout connu à l’époque. Il n’arrivait pas à vendre ses photos. J’ai tout de suite vu que c’était quelqu’un d’intéressant avec lequel je suis devenu ami très rapidement. J’ai fait un numéro spécial sur ses photos d’indiens du Pérou. Et en 1956, il est venu me voir en me disant : « je voudrais que tu me fasse une lettre pour la fondation Guggenheim. J’aimerais faire un gros travail sur les Américains. » Il a travaillé là-dessus pendant deux ans. On en a fait un livre. On ne pensait pas que ce serait un livre culte. D’autant que ça a été un flop commercial ! Les américains se disaient : « qu’est ce que c’est que ce p’tit Suisse, qui vient donner des leçons aux Américains ? » (rires) Maintenant, l’édition française se vend très chère, il n’y en a plus sur le marché, on les trouve d’occasion. Ce sont les critiques qui l’ont découvert à l’époque. Ils disaient que c’était « un livre exceptionnel, une vision tout à fait nouvelle. ». »

© Robert Franck

© Robert Franck

© Robert Franck

Rebelote neuf années après, avec William Klein. Delpire se lance dans la production du premier long-métrage du photographe, Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? Nouvel échec public, nouveau succès critique.
« Avec William Klein, on avait déjà fait des livres ensemble. C’était devenu un ami. Un jour il m’a dit qu’il avait un projet Qui êtes-vous Polly Maggoo ? Il m’a montré un script. Il n’avait pas de producteur.  A l’époque, on gagnait un peu d’argent avec le publicité alors on a fait Polly Maggoo. Maintenant c’est un film culte, alors qu’à la sortie, on n’avait fait que très peu d’entrées, dans un seul cinéma. Ce n’était vraiment pas un succès. »

Un regard neuf sur la pub

« Loulou ? Oui, c’est moi ». Qui peut oublier cette campagne de Cacharel ? Leurs auteurs ne sont autres que Delpire, sous la casquette de publiciste, et sa compagne, la photographe Sarah Moon. Grâce à son agence, Delpire Publicité, « Bob » collabore avec de grandes enseignes comme Habitat ou Citroën.

Des expositions par centaines

Pour ce carton d’invitation, Robert engage l’un de ses fidèles amis : le graphiste américain Herbert Lubalin. Un visuel créatif pour une exposition parmi les nombreuses (plus de 150 !) qu’orchestre Delpire, notamment au Palais de Tokyo lorsqu’il est directeur du Centre National de la Photographie, de 1982 à 1996.

© Herbert Lubalin

Le père de la photo pour tous

Issu d’un milieu modeste, Delpire a toujours œuvré pour démocratiser la photographie. Avec Photo Poche, ces petits livres à prix réduits, dont Nadar inaugure la série, il donne naissance à la collection d’ouvrages sur la photo la plus vendue au monde ! Aujourd’hui, 130 numéros sont parus.

« Je crois que ça vient de mes origines. J’étais d’une famille d’ouvriers. J’ai toujours pensé que c’était important de mettre entre les mains d’un public jeune, notamment, des livres bien faits. Quand j’avais 17, 18 ans, j’ai souffert de ne pas pouvoir acheter les livres que je voulais. Aujourd’hui encore, les étudiants en architecture ne peuvent pas se payer ces livres qui coûtent si chers. J’ai toujours eu le souci de faire des livres accessible et de très bonne qualité. Aussi bien du point de vue des écrits, que du choix des sujets, du choix des images et de la façon dont ils sont réalisés. »

Sa nouvelle passion : l’illustration


« Je trouve que les illustrateurs sont dépréciés. Peut-être parce qu’ils ont toujours fait du travail «appliqué», c’est-à-dire, pour un journal. Peut-être aussi que la photographie est plus directe, s’absorbe plus rapidement que le dessin. » Il n’en reste pas moins que l’illustration est le nouveau cheval de bataille de cet inlassable ouvrier de la mise en scène. On le voit sur ce portrait du dessinateur André François, tiré du livre pour enfants Le bonhomme à fleurs : un homme heureux et accompli, offrant un bouquet… de talents.

© André François

Editions Delpire : www.delpire.fr

Margaux Duquesne

Portrait réalisé pour Arts Magazine, en décembre 2009.

* BONUS

Sarah Moon a fait un film sur son compagnon, intitulé « Le montreur d’images » :

« Je trouvais que c’était plus juste comme titre. Editeur pour moi, c’est quelqu’un de plus spécialisé dans une certaine ligne. J’ai beaucoup plus un intérêt pour l’image en générale que pour la photographie en particulier, par exemple. D’où le titre du film », explique Robert Delpire.

Vous trouverez un extrait en cliquant ici.